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Lorsque nous intervenons dans les Établissements d’Accueil du Jeune Enfant (EAJE), que ce soit pour des formations ou des analyses de pratiques, un rituel incontournable s’impose : le tour de table. Ce moment, censé briser la glace et créer du lien, révèle parfois des mécanismes de dévalorisation insidieux. Combien de fois entendons-nous des professionnels titulaires d’un CAP AEPE ou CAP Petite Enfance se présenter comme « non diplômé(e) » ou même « je suis juste CAP » ? Cette réalité, loin d’être anodine, reflète des dynamiques complexes, à la croisée des normes institutionnelles et des difficultés structurelles du secteur.
Quand les mots fragilisent la petite enfance
Dans certains EAJE, les termes employés renforcent ces distinctions. On entend fréquemment dans les échanges ou les rapports : « Nous avons X diplômées et Y non diplômées dans l’équipe. » Ces formulations, directement issues des textes réglementaires, traduisent la difficulté pour les directrices de concilier les exigences administratives avec une gestion humaine et bienveillante de leurs équipes. La pénurie d’auxiliaires de puériculture, bien plus critique que celle des assistants éducatifs petite enfance, accentue encore cette tension. Les directrices doivent jongler entre la nécessité de respecter les ratios légaux et celle de maintenir une cohésion d’équipe.
Mais posons-nous une question simple : qu’est-ce que cela nous ferait, à nous, si l’on nous désignait par « la non diplômée » dans notre métier ? Ce langage, bien qu’involontairement blessant, illustre une souffrance plus large qui traverse tout le milieu de la petite enfance. Il ne s’agit pas de blâmer les directrices, qui font souvent de leur mieux dans un contexte de crise, ni les professionnels, qui subissent ce système. Ce sont les dysfonctionnements structurels et la sous-valorisation chronique du secteur qui engendrent ces situations.
Changer les mots, changer les mentalités
Les mots que nous employons façonnent nos perceptions et leurs effets perlocutoires sont puissants. Considérer les titulaires de CAP AEPE comme « non diplômées » alimente une hiérarchisation implicite des compétences. Pourtant, ces professionnels ont suivi une formation spécifique et essentielle. Ils méritent d’être reconnus pour leur rôle fondamental dans l’accompagnement des jeunes enfants.
Pour cela, nous devons repenser notre langage. Par exemple, remplacer « non diplômée » par « titulaire d’un CAP spécialisé en petite enfance » valoriserait ces parcours tout en respectant les cadres de responsabilité et de compétence propres à chaque diplôme. Cette démarche, au-delà des mots, traduit une volonté de reconnaître la diversité et la complémentarité des profils au sein des équipes.
Un problème systémique qui appelle à une réponse collective
Les tensions observées dans les EAJE ne sont pas le fruit d’une mauvaise volonté individuelle. Elles reflètent un problème sociétal plus large : la souffrance d’un secteur trop souvent sous-estimé et en manque de moyens. La pénurie de professionnels qualifiés, la surcharge des équipes et les contraintes liées au respect des ratios réglementaires ajoutent une pression constante, rendant le quotidien parfois difficile à gérer.
C’est un appel à la solidarité et à la bienveillance. Il est crucial de reconnaître que les efforts des uns ne doivent pas se faire au détriment des autres, mais dans une logique de complémentarité. Ce n’est qu’en agissant collectivement que nous pourrons améliorer les conditions de travail et redonner au secteur de la petite enfance la place qu’il mérite.
La formation continue : un levier pour valoriser et accompagner
Face aux enjeux et tensions observés dans les équipes de la petite enfance, des solutions existent pour avancer ensemble. La formation continue s’impose comme un outil essentiel, offrant un espace où les professionnels peuvent se sentir reconnus, soutenus et encouragés.
Elle ne se limite pas à transmettre des savoirs ou à renforcer des compétences techniques. Elle contribue également à l’épanouissement et à la progression des professionnels, en leur permettant de prendre du recul, de réfléchir à leurs pratiques, et de trouver des réponses adaptées à leurs réalités de terrain.
Ces moments d’accompagnement favorisent non seulement la montée en compétences, mais aussi le renforcement de la confiance en soi et de l’engagement des professionnels. Ils ouvrent des perspectives et donnent à chacun les clés pour progresser dans son rôle, dans le respect des spécificités de chaque diplôme et de chaque parcours.
La formation continue, en somme, est un levier pour transformer ces défis en opportunités. Elle invite à adopter un regard bienveillant, à construire des solutions ensemble et à valoriser chaque acteur du secteur de la petite enfance. Une démarche qui, au-delà des mots, contribue à façonner un environnement plus solidaire et plus respectueux.
Pour un avenir plus juste et bienveillant
Le défi qui nous attend est de transformer ces dynamiques en opportunités de dialogue et de progrès. Valoriser chaque professionnel, quelles que soient ses qualifications, est un acte de reconnaissance. C’est aussi un moyen de construire des équipes plus solides, capables d’offrir un accueil de qualité aux jeunes enfants.
Ensemble, changeons les mentalités pour que chacun se sente respecté, valorisé et encouragé à contribuer pleinement au bien-être des tout-petits. Car au-delà des mots, c’est tout un secteur qui aspire à une reconnaissance à la hauteur de son importance.
Publié le 14/01/2025
Dominique ALBEAUX et Anne-Laure LARGEAU